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LES ROUGON-MACQUART.

Marie, s’y appuyant, s’y cachant, s’y perdant sans réserve, buvant le lait d’amour infini qui tombait goutte à goutte de ce sein virginal.

Chaque matin, dès son lever, au séminaire, il saluait Marie de cent révérences, le visage tourné vers le pan de ciel qu’il apercevait par sa fenêtre ; le soir, il prenait congé d’elle, en s’inclinant le même nombre de fois, les yeux sur les étoiles. Souvent, en face des nuits sereines, lorsque Vénus luisait toute blonde et rêveuse dans l’air tiède, il s’oubliait, il laissait tomber de ses lèvres, ainsi qu’un léger chant, l’Ave maris stella, l’hymne attendrie qui lui déroulait au loin des plages bleues, une mer douce, à peine ridée d’un frisson de caresse, éclairée par une étoile souriante, aussi grande qu’un soleil. Il récitait encore le Salve Regina, le Regina cœli, l’O gloriosa Domina, toutes les prières, tous les cantiques. Il lisait l’Office de la Vierge, les livres de sainteté en son honneur, le petit Psautier de saint Bonaventure, d’une tendresse si dévote, que les larmes l’empêchaient de tourner les pages. Il jeûnait, il se mortifiait, pour lui faire l’offrande de sa chair meurtrie. Depuis l’âge de dix ans, il portait sa livrée, le saint scapulaire, la double image de Marie, cousue sur drap, dont il sentait la chaleur à son dos et à sa poitrine, contre sa peau nue, avec des tressaillements de bonheur. Plus tard, il avait pris la chaînette, afin de montrer son esclavage d’amour. Mais son grand acte restait toujours la Salutation angélique, l’Ave Maria, la prière parfaite de son cœur. « Je vous salue, Marie, » et il la voyait s’avancer vers lui, pleine de grâce, bénie entre toutes les femmes ; il jetait son cœur à ses pieds, pour qu’elle marchât dessus, dans la douceur. Cette salutation, il la multipliait, il la répétait de cent façons, s’ingéniant à la rendre plus efficace. Il disait douze Ave, pour rappeler la couronne de douze étoiles, ceignant le front de Marie ; il en disait quatorze, en mémoire de ses quatorze al-