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LES ROUGON-MACQUART.

bourdonnait à ses oreilles, finissait par prendre des voix chuchotantes. Lentement, invinciblement, ces voix l’envahissaient, redoublaient l’anxiété dont il avait, dans la journée, senti plusieurs fois le serrement à la gorge. D’où venait donc cette angoisse ? quel pouvait être ce trouble inconnu, grossi doucement, devenu intolérable ? Il n’avait pas péché cependant. Il lui semblait être sorti la veille du séminaire, avec toute l’ardeur de sa foi, si fort contre le monde, qu’il marchait au milieu des hommes en ne voyant que Dieu.

Alors, il se crut dans sa cellule, un matin, à cinq heures, au moment du lever. Le diacre de service passait en donnant un coup de bâton dans sa porte, avec le cri réglementaire :

Benedicamus Domino !

Deo gratias ! répondait-il, mal réveillé, les yeux enflés de sommeil.

Et il sautait sur l’étroit tapis, se débarbouillait, faisait son lit, balayait sa chambre, renouvelait l’eau de son cruchon. Ce petit ménage était une joie, dans le frisson matinal qui lui courait sur la peau. Il entendait les pierrots des platanes de la cour se lever en même temps que lui, au milieu d’un tapage d’ailes et de gosiers assourdissant. Il pensait qu’ils disaient leurs prières, à leur façon. Lui, descendait dans la salle des Méditations, où, après les oraisons, il restait une demi-heure agenouillé, à méditer sur cette pensée d’Ignace : « Que sert à l’homme de conquérir l’univers, s’il perd son âme ? » C’était un sujet fertile en bonnes résolutions, qui le faisait renoncer à tous les biens de la terre, avec le rêve si souvent caressé d’une vie au désert, sous la seule richesse d’un grand ciel bleu. Au bout de dix minutes, ses genoux, meurtris sur la dalle, devenaient tellement douloureux, qu’il éprouvait peu à peu un évanouissement de tout son être, une extase dans laquelle il se voyait grand conquérant, maître d’un empire immense, jetant sa cou-