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LES ROUGON-MACQUART.

tant pas, apprenant les textes par cœur. Il prouvait l’existence et l’éternité de Dieu par des preuves tirées de l’Écriture sainte, par l’opinion des Pères de l’Église, et par le consentement universel de tous les peuples. Les raisonnements de cette nature l’emplissaient d’une certitude inébranlable. Pendant sa première année de philosophie, il travaillait son cours de logique avec une telle application, que son professeur l’avait arrêté, en lui répétant que les plus savants ne sont pas les plus saints. Aussi, dès sa seconde année, s’acquittait-il de son étude de la métaphysique, ainsi que d’un devoir réglementé, entrant pour une très-faible part dans les exercices de la journée. Le mépris de la science lui venait ; il voulait rester ignorant, afin de garder l’humilité de sa foi. Plus tard, en théologie, il ne suivait plus le cours d’Histoire ecclésiastique, de Rorbacher, que par soumission ; il allait jusqu’aux arguments de Gousset, jusqu’à l’Instruction théologique, de Bouvier, sans oser toucher à Bellarmin, à Liguori, à Suarez, à saint Thomas d’Aquin. Seule, l’Écriture sainte le passionnait. Il y trouvait le savoir désirable, une histoire d’amour infini qui devait suffire comme enseignement aux hommes de bonne volonté. Il n’acceptait que les affirmations de ses maîtres, se débarrassant sur eux de tout souci d’examen, n’ayant pas besoin de ce fatras pour aimer, accusant les livres de voler le temps à la prière. Il avait même réussi à oublier ses années de collége. Il ne savait plus, il n’était plus qu’une candeur, qu’une enfance ramenée aux balbutiements du catéchisme.

Et c’était ainsi qu’il était pas à pas monté jusqu’à la prêtrise. Ici, les souvenirs se pressaient, attendris, chauds encore de joies célestes. Chaque année, il avait approché Dieu de plus près. Il passait saintement les vacances, chez un oncle, se confessant tous les jours, communiant deux fois par semaine. Il s’imposait des jeûnes, cachait au fond de sa malle des boîtes de gros sel, sur lesquelles il s’age-