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LES ROUGON-MACQUART.

gulière au milieu de cette pièce restée toute tiède d’une lointaine odeur de volupté.

Assise près d’une console où une bouilloire chauffait sur une lampe à esprit-de-vin, Albine regardait les rideaux de l’alcôve, attentivement. Elle était vêtue de blanc, les cheveux serrés dans un fichu de vieille dentelle, les mains abandonnées, veillant d’un air sérieux de grande fille. Une respiration faible, un souffle d’enfant assoupi s’entendait, dans le grand silence. Mais elle s’inquiéta, au bout de quelques minutes ; elle ne put s’empêcher de venir, à pas légers, soulever le coin d’un rideau. Serge, au bord du grand lit, semblait dormir, la tête appuyée sur l’un de ses bras repliés. Pendant sa maladie, ses cheveux s’étaient allongés, sa barbe avait poussé. Il était très-blanc, les yeux meurtris de bleu, les lèvres pâles ; il avait une grâce de fille convalescente.

Albine, attendrie, allait laisser retomber le coin du rideau.

— Je ne dors pas, dit Serge d’une voix très-basse.

Et il restait la tête appuyée, sans bouger un doigt, comme accablé d’une lassitude heureuse. Ses yeux s’étaient lentement ouverts ; sa bouche soufflait légèrement sur l’une de ses mains nues, soulevant le duvet de sa peau blonde.

— Je t’entendais, murmura-t-il encore. Tu marchais tout doucement.

Elle fut ravie de ce tutoiement. Elle s’approcha, s’accroupit devant le lit, pour mettre son visage à la hauteur du sien.

— Comment vas-tu ? demanda-t-elle.

Et elle goûtait à son tour la douceur de ce « tu », qui lui passait pour la première fois sur les lèvres.

— Oh ! tu es guéri, maintenant, reprit-elle. Sais-tu que je pleurais, tout le long du chemin, lorsque je revenais de là-bas avec de mauvaises nouvelles. On me disait que tu avais le délire, que cette mauvaise fièvre, si elle te faisait