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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

— Oh ! je le vois, je l’écoute… Je sais où sont les arbres, où sont les eaux, où poussent les violettes.

Puis, il reprenait :

— Mais je le vois mal, je le vois sans lumière… Il faut que je sois très-fort pour aller jusqu’à la fenêtre.

D’autres fois, lorsqu’elle le croyait endormi, Albine disparaissait pendant des heures. Et, lorsqu’elle rentrait, elle le trouvait les yeux luisants de curiosité, dévoré d’impatience. Il lui criait :

— D’où viens-tu ?

Et il la prenait par les bras, lui sentait les jupes, le corsage, les joues.

— Tu sens toutes sortes de bonnes choses… Hein ? tu as marché sur de l’herbe ?

Elle riait, elle lui montrait ses bottines mouillées de rosée.

— Tu viens du jardin ! tu viens du jardin ! répétait-il, ravi. Je le savais. Quand tu es entrée, tu avais l’air d’une grande fleur… Tu m’apportes tout le jardin dans ta robe.

Il la gardait auprès de lui, la respirant comme un bouquet. Elle revenait parfois avec des ronces, des feuilles, des bouts de bois accrochés à ses vêtements. Alors, il enlevait ces choses, il les cachait sous son oreiller, ainsi que des reliques. Un jour, elle lui apporta une touffe de roses. Il fut si saisi, qu’il se mit à pleurer. Il baisait les fleurs, il les couchait avec lui, entre ses bras. Mais, lorsqu’elles se fanèrent, cela lui causa un tel chagrin, qu’il défendit à Albine d’en cueillir d’autres. Il la préférait, elle, aussi fraîche, aussi embaumée ; et elle ne se fanait pas, elle gardait toujours l’odeur de ses mains, l’odeur de ses cheveux, l’odeur de ses joues. Il finit par l’envoyer lui-même au jardin, en lui recommandant de ne pas remonter avant une heure.

— Vois-tu, comme cela, disait-il, j’ai du soleil, j’ai de l’air, j’ai des roses, jusqu’au lendemain.