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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

qui me troublaient la nuit, avant ta venue… Écoute, tout se tait pour t’entendre parler encore.

Mais il continuait à ne pas la savoir là. Et elle se faisait plus tendre.

— Non, ne parle pas, si cela te fatigue. Assois-toi à mon côté. Nous resterons sur ce gazon, jusqu’à ce que le soleil tourne… Et, regarde, j’ai trouvé deux fraises. J’ai eu bien de la peine, va ! Les oiseaux mangent tout. Il y en a une pour toi, les deux si tu veux ; ou bien nous les partagerons, pour goûter à chacune… Tu me diras merci, et je t’entendrai.

Il ne voulut pas s’asseoir, il refusa les fraises qu’Albine jeta avec dépit. Elle-même n’ouvrit plus les lèvres. Elle l’aurait préféré malade, comme aux premiers jours, lorsqu’elle lui donnait sa main pour oreiller et qu’elle le sentait renaître sous le souffle dont elle lui rafraîchissait le visage. Elle maudissait la santé, qui maintenant le dressait dans la lumière pareil à un jeune dieu indifférent. Allait-il donc rester ainsi, sans regard pour elle ? Ne guérirait-il pas davantage, jusqu’à la voir et à l’aimer ? Et elle rêvait de redevenir sa guérison, d’achever par la seule puissance de ses petites mains cette cure de seconde jeunesse. Elle voyait bien qu’une flamme manquait au fond de ses yeux gris, qu’il avait une beauté pâle, semblable à celle des statues tombées dans les orties du parterre. Alors, elle se leva, elle vint le reprendre à la taille, lui soufflant sur la nuque pour l’animer. Mais, ce matin-là, Serge n’eut pas même la sensation de cette haleine qui soulevait sa barbe soyeuse. Le soleil avait tourné, il fallut rentrer. Dans la chambre, Albine pleura.

À partir de cette matinée, tous les jours, le convalescent fit une courte promenade dans le jardin. Il dépassa le mûrier, il alla jusqu’au bord de la terrasse, devant le large escalier dont les marches rompues descendaient au parterre.