Page:Zola - La Faute de l'abbé Mouret.djvu/183

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
183
LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

emporter plus loin, par le premier souffle de vent. Chevelure immense de verdure, piquée d’une pluie de fleurs, dont les mèches débordaient de toutes parts, s’échappaient en un échevèlement fou, faisaient songer à quelque fille géante, pâmée au loin sur les reins, renversant la tête dans un spasme de passion, dans un ruissellement de crins superbes, étalés comme une mare de parfums.

— Jamais je n’ai osé entrer dans tout ce noir, dit Albine à l’oreille de Serge.

Il l’encouragea, il la porta par-dessus les orties ; et comme un bloc fermait le seuil de la grotte, il la tint un instant debout, entre ses bras, pour qu’elle pût se pencher sur le trou, béant à quelques pieds du sol.

— Il y a, murmura-t-elle, une femme de marbre tombée tout de son long dans l’eau qui coule. L’eau lui a mangé la figure.

Alors, lui, voulut voir à son tour. Il se haussa à l’aide des poignets. Une haleine fraîche le frappa aux joues. Au milieu des joncs et des lentilles d’eau, dans le rayon de jour glissant du trou, la femme était sur l’échine, nue jusqu’à la ceinture, avec une draperie qui lui cachait les cuisses. C’était quelque noyée de cent ans, le lent suicide d’un marbre que des peines avaient dû laisser choir au fond de cette source. La nappe claire qui coulait sur elle, avait fait de sa face une pierre lisse, une blancheur sans visage, tandis que ses deux seins, comme soulevés hors de l’eau par un effort de la nuque, restaient intacts, vivants encore, gonflés d’une volupté ancienne.

— Elle n’est pas morte, va ! dit Serge en redescendant. Un jour, il faudra venir la tirer de là.

Mais Albine, qui avait un frisson, l’emmena. Ils revinrent au soleil, dans le dévergondage des plates-bandes et des corbeilles. Ils marchaient à travers un pré de fleurs, à leur fantaisie, sans chemin tracé. Leurs pieds avaient pour tapis