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LES ROUGON-MACQUART.

bles ont une odeur de vieux qui sent bon… C’est doux comme dans un nid. Voilà une chambre où il y a du bonheur.

La jeune fille hochait gravement la tête.

— Si j’avais été peureuse, murmura-t-elle, j’aurais eu bien peur, dans les premiers temps… C’est justement cette histoire-là que je veux te raconter. Je l’ai entendue dans le pays. On ment peut-être. Enfin, ça nous amusera.

Et elle s’assit à côté de Serge.

— Il y a des années et des années… Le Paradou appartenait à un riche seigneur qui vint s’y enfermer avec une dame très-belle. Les portes du château étaient si bien fermées, les murailles du jardin avaient une telle hauteur, que jamais personne n’apercevait le moindre bout des jupes de la dame.

— Je sais, interrompit Serge, la dame n’a jamais reparu.

Comme Albine le regardait toute surprise, fâchée de voir son histoire connue, il continua à demi-voix, étonné lui-même.

— Tu me l’as déjà racontée, ton histoire.

Elle protesta. Puis, elle parut se raviser, elle se laissa convaincre. Ce qui ne l’empêcha pas de terminer son récit en ces termes :

— Quand le seigneur s’en alla, il avait les cheveux blancs. Il fit barricader toutes les ouvertures, pour qu’on n’allât pas déranger la dame… La dame était morte dans cette chambre.

— Dans cette chambre ! s’écria Serge. Tu ne m’avais pas dit cela… Es-tu sûre qu’elle soit morte dans cette chambre ?

Albine se fâcha. Elle répétait ce que tout le monde savait. Le seigneur avait fait bâtir le pavillon, pour y loger cette inconnue qui ressemblait à une princesse. Les gens