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LES ROUGON-MACQUART.

trop aigres ; les cerises de cet autre ne seraient mûres que dans huit jours. Elle connaissait tous les arbres.

— Tiens, monte là-dedans, dit-elle enfin, en s’arrêtant devant un cerisier si chargé de fruits, que des grappes pendaient jusqu’à terre comme des colliers de corail accrochés.

Serge s’établit commodément entre deux branches, et se mit à déjeuner. Il n’entendait plus Albine ; il la croyait dans un autre arbre, à quelques pas, lorsque, baissant les yeux, il l’aperçut tranquillement couchée sur le dos, au-dessous de lui. Elle s’était glissée là, mangeant sans même se servir des mains, happant des lèvres les cerises que l’arbre tendait jusqu’à sa bouche.

Quand elle se vit découverte, elle eut des rires prolongés, sautant sur l’herbe comme un poisson blanc sorti de l’eau, se mettant sur le ventre, rampant sur les coudes, faisant le tour du cerisier, tout en continuant à happer les cerises les plus grosses.

— Figure-toi, elles me chatouillent ! criait-elle. Tiens, en voilà encore une qui vient de me tomber dans le cou. C’est qu’elles sont joliment fraîches !… Moi, j’en ai dans les oreilles, dans les yeux, sur le nez, partout ! Si je voulais, j’en écraserais une pour me faire des moustaches… Elles sont bien plus douces en bas qu’en haut.

— Allons donc ! dit Serge en riant. C’est que tu n’oses pas monter.

Elle resta muette d’indignation.

— Moi ! moi ! balbutia-t-elle.

Et, serrant sa jupe, la rattachant par devant à sa ceinture, sans voir qu’elle montrait ses cuisses, elle prit l’arbre nerveusement, se hissa sur le tronc, d’un seul effort des poignets. Là, elle courut le long des branches, en évitant même de se servir des mains ; elle avait des allongements souples d’écureuil, elle tournait autour des nœuds, lâchait les pieds, tenue seulement en équilibre par le pli de la taille.