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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

baiser. Mais, en face de la complaisance sereine de la futaie, ils eurent une gaieté d’amoureux impunis, une gaieté prolongée, sonnante, toute pleine de l’éclosion bavarde de leur tendresse.

— Ah ! conte-moi les jours où tu m’as aimée. Dis-moi tout… M’aimais-tu, lorsque tu dormais sur ma main ? M’aimais-tu, la fois que je suis tombée du cerisier, et que tu étais en bas, si pâle, les bras tendus ? M’aimais-tu, au milieu des prairies, quand tu me prenais à la taille pour me faire sauter les ruisseaux ?

— Tais-toi, laisse-moi dire. Je t’ai toujours aimée… Et toi, m’aimais-tu ? m’aimais-tu ?

Jusqu’à la nuit, ils vécurent de ce mot aimer qui, sans cesse, revenait avec une douceur nouvelle. Ils le cherchaient, le ramenaient dans leurs phrases, le prononçaient hors de propos, pour la seule joie de le prononcer. Serge ne songea pas à mettre un second baiser sur les lèvres d’Albine. Cela suffisait à leur ignorance, de garder l’odeur du premier. Ils avaient retrouvé leur chemin, sans s’être souciés des sentiers le moins du monde. Comme ils sortaient de la forêt, le crépuscule était tombé, la lune se levait, jaune, entre les verdures noires. Et ce fut un retour adorable, au milieu du parc, avec cet astre discret qui les regardait par tous les trous des grands arbres. Albine disait que la lune les suivait. La nuit était très-douce, chaude d’étoiles. Au loin, les futaies avaient un grand murmure, que Serge écoutait, en songeant : « Elles causent de nous. »

Lorsqu’ils traversèrent le parterre, ils marchèrent dans un parfum extraordinairement doux, ce parfum que les fleurs ont la nuit, plus alangui, plus caressant, qui est comme la respiration même de leur sommeil.

— Bonne nuit, Serge.

— Bonne nuit, Albine.

Ils s’étaient pris les mains, sur le palier du premier