Page:Zola - La Faute de l'abbé Mouret.djvu/242

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XIII


Cependant, à cette heure, le parc entier était à eux. Ils en avaient pris possession, souverainement. Pas un coin de terre qui ne leur appartînt. C’était pour eux que le bois de roses fleurissait, que le parterre avait des odeurs douces, alanguies, dont les bouffées les endormaient, la nuit, par leurs fenêtres ouvertes. Le verger les nourrissait, emplissait de fruits les jupes d’Albine, les rafraîchissait de l’ombre musquée de ses branches, sous lesquelles il faisait si bon déjeuner, après le lever du soleil. Dans les prairies, ils avaient les herbes et les eaux : les herbes qui élargissaient indéfiniment leur royaume, en déroulant sans cesse devant eux des tapis de soie ; les eaux qui étaient la meilleure de leurs joies, leur grande pureté, leur grande innocence, le ruissellement de fraîcheur où ils aimaient à tremper leur jeunesse. Ils possédaient la forêt, depuis les chênes énormes que dix hommes n’auraient pu embrasser, jusqu’aux bouleaux minces qu’un enfant aurait cassé d’un effort ; la forêt avec tous ses arbres, toute son ombre, ses avenues, ses clairières, ses trous de verdure, inconnus aux