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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

— Tu ne sors pas ? demanda-t-il, se sentant vaincu, si elle demeurait là.

Elle répondit que non, qu’elle ne sortirait plus. À mesure qu’elle se délassait, il la sentait plus forte, plus triomphante. Bientôt elle pourrait le prendre par le petit doigt, le mener à cette couche d’herbe, dont son silence contait si haut la douceur. Ce jour-là, elle ne parla pas encore, elle se contenta de l’attirer à ses pieds, assis sur un coussin. Le jour suivant seulement, elle se hasarda à dire :

— Pourquoi t’emprisonnes-tu ici ? Il fait si bon sous les arbres !

Il se souleva, les bras tendus, suppliant. Mais elle riait.

— Non, non, nous n’irons pas, puisque tu ne veux pas… C’est cette chambre qui a une si singulière odeur ! Nous serions mieux dans le jardin, plus à l’aise, plus à l’abri. Tu as tort d’en vouloir au jardin.

Il s’était remis à ses pieds, muet, les paupières baissées, avec des frémissements qui lui couraient sur la face.

— Nous n’irons pas, reprit-elle, ne te fâche pas. Mais est-ce que tu ne préfères pas les herbes du parc à ces peintures ? Tu te rappelles tout ce que nous avons vu ensemble… Ce sont ces peintures qui nous attristent. Elles sont gênantes, à nous regarder toujours.

Et comme il s’abandonnait peu à peu contre elle, elle lui passa un bras au cou, elle lui renversa la tête sur ses genoux, murmurant encore, à voix plus basse :

— C’est comme cela qu’on serait bien, dans un coin que je connais. Là, rien ne nous troublerait. Le grand air guérirait ta fièvre.

Elle se tut, sentant qu’il frissonnait. Elle craignait qu’un mot trop vif ne le rendît à ses terreurs. Lentement, elle le conquérait, rien qu’à promener sur son visage la caresse bleue de son regard. Il avait relevé les paupières, il reposait sans tressaillements nerveux, tout à elle.