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LES ROUGON-MACQUART.

pour les empêcher de revenir sur leurs pas ; tandis que, devant eux, le tapis des gazons se déroulait, si aisément, qu’ils ne regardaient même plus à leurs pieds, s’abandonnant aux pentes douces des terrains.

— Et les oiseaux nous accompagnent, reprenait Albine. Ce sont des mésanges, cette fois. Les vois-tu ?… Elles filent le long des haies, elles s’arrêtent à chaque détour, pour veiller à ce que nous ne nous égarions pas. Ah ! si nous comprenions leur chant, nous saurions qu’elles nous invitent à nous hâter.

Puis, elle ajoutait :

— Toutes les bêtes du parc sont avec nous. Ne les sens-tu pas ? Il y a un grand frôlement qui nous suit : ce sont les oiseaux dans les arbres, les insectes dans les herbes, les chevreuils et les cerfs dans les taillis, et jusqu’aux poissons, dont les nageoires battent les eaux muettes… Ne te retourne pas, cela les effrayerait ; mais je suis sûre que nous avons un beau cortége.

Cependant, ils marchaient toujours, d’un pas sans fatigue. Albine ne parlait que pour charmer Serge de la musique de sa voix. Serge obéissait à la moindre pression de la main d’Albine. Ils ignoraient l’un et l’autre où ils passaient, certains d’aller droit où ils voulaient aller. Et, à mesure qu’ils avançaient, le jardin se faisait plus discret, retenait le soupir de ses ombrages, le bavardage de ses eaux, la vie ardente de ses bêtes. Il n’y avait plus qu’un grand silence frissonnant, une attente religieuse.

Alors, instinctivement, Albine et Serge levèrent la tête. En face d’eux était un feuillage colossal. Et, comme ils hésitaient, un chevreuil, qui les regardait de ses beaux yeux doux, sauta d’un bond dans les taillis.

— C’est là, dit Albine.

Elle s’approcha la première, la tête de nouveau tournée, tirant à elle Serge ; puis, ils disparurent derrière le frisson