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LES ROUGON-MACQUART.

une plainte, elle finit par agiter sa cuiller comme un bâton, elle cria :

— Il faut retourner là-bas, monsieur le curé, si vous y étiez si bien… Il y a là-bas une personne qui vous soignera sans doute mieux que moi.

C’était la première fois qu’elle hasardait une allusion directe. Le coup fut si cruel, que le prêtre laissa échapper un léger cri, en levant sa face douloureuse. La bonne âme de la Teuse eut regret.

— Aussi, murmura-t-elle, c’est la faute de votre oncle Pascal. Allez, je lui en ai dit assez. Mais ces savants, ça tient à leurs idées. Il y en a qui vous font mourir, pour vous regarder dans le corps après… Moi, ça m’avait mis dans une telle colère, que je n’ai voulu en parler à personne. Oui, monsieur, c’est grâce à moi, si personne n’a su où vous étiez, tant je trouvais ça abominable. Quand l’abbé Guyot, de Saint-Eutrope, qui vous a remplacé pendant votre absence, venait dire la messe ici, le dimanche, je lui racontais des histoires, je lui jurais que vous étiez en Suisse. Je ne sais seulement pas où ça est, la Suisse… Certes, je ne veux point vous faire de la peine, mais c’est sûrement là-bas que vous avez pris votre mal. Vous voilà drôlement guéri. On aurait bien mieux fait de vous laisser avec moi qui ne me serais pas avisée de vous tourner la tête.

L’abbé Mouret, le front de nouveau penché, ne l’interrompait pas. Elle s’était assise par terre, à quelques pas de lui, pour tâcher de rencontrer ses yeux. Elle reprit maternellement, ravie de la complaisance qu’il semblait mettre à l’écouter :

— Vous n’avez jamais voulu connaître l’histoire de l’abbé Caffin. Dès que je parle, vous me faites taire… Eh bien ! l’abbé Caffin, dans notre pays, à Canteleu, avait eu des ennuis. C’était pourtant un bien saint homme, et qui possédait un caractère d’or. Mais, voyez-vous, il était très-douillet