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Page:Zola - La Faute de l'abbé Mouret.djvu/315

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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

arrêt. Le diable lui jette toute la braise de l’enfer sous les pieds.

Le prêtre, très-troublé, désespérant de faire lâcher prise à son compagnon, tourna le dos pour continuer sa route, espérant encore éviter Jeanbernat, en se hâtant de gagner la maison des Bambousse. Mais il n’avait pas fait cinq pas, que la voix railleuse du vieux s’éleva, presque derrière son dos.

— Eh ! curé, attendez-moi. Je vous fais donc peur ?

Et l’abbé Mouret s’étant arrêté, il s’approcha, il continua :

— Dame ! vos soutanes, ça n’est pas commode, ça empêche de courir. Puis, il a beau faire nuit, on vous reconnaît de loin… Du haut de la côte, je me suis dit : « Tiens ! c’est le petit curé qui est là-bas. » Oh ! j’ai encore de bons yeux… Alors, vous ne venez plus nous voir ?

— J’ai eu tant d’occupations, murmura le prêtre, très-pâle.

— Bien, bien, tout le monde est libre. Ce que je vous en dis, c’est pour vous montrer que je ne vous garde pas rancune d’être curé. Nous ne parlerions même pas de votre bon Dieu, ça m’est égal… La petite croit que c’est moi qui vous empêche de revenir. Je lui ai répondu : « Le curé est une bête. » Et ça, je le pense. Est-ce que je vous ai mangé, pendant votre maladie ? Je ne suis même pas monté vous voir… Tout le monde est libre.

Il parlait avec sa belle indifférence, en affectant de ne pas s’apercevoir de la présence de Frère Archangias. Mais celui-ci ayant poussé un grognement plus menaçant, il reprit :

— Eh ! curé, vous promenez donc votre cochon avec vous ?

— Attends, brigand ! hurla le Frère, les poings fermés.

Jeanbernat, le bâton levé, feignit de le reconnaître.