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LES ROUGON-MACQUART.

mains, ça sera fini, les petits s’en iront… Écoutez, il leur raconte une histoire.

La voix de l’abbé Mouret arrivait, en effet, très-adoucie, par la porte de la sacristie, que la Teuse, sans doute, venait d’ouvrir. Ce fut comme une bouffée religieuse, un murmure où passa à trois fois le nom de Jésus. Albine frissonna. Elle se levait pour courir à cette voix aimée, dont elle reconnaissait la caresse, lorsque le son parut s’envoler, étouffé par la porte, qui était retombée. Alors, elle se rassit, elle sembla attendre, les mains serrées l’une contre l’autre, tout à la pensée brûlant au fond de ses yeux clairs. Désirée, couchée à ses pieds, la regardait avec une admiration naïve.

— Oh ! vous êtes belle, murmura-t-elle. Vous ressemblez à une image que Serge avait dans sa chambre. Elle était toute blanche comme vous. Elle avait de grandes boucles qui lui flottaient le cou. Et elle montrait son cœur rouge, là, à la place où je sens battre le vôtre… Vous ne m’écoutez pas, vous êtes triste. Jouons, voulez-vous ?

Mais elle s’interrompit, criant entre ses dents, contenant sa voix :

— Les gueuses ! elles vont nous faire surprendre.

Elle n’avait pas lâché son tablier d’herbes, et ses bêtes la prenaient d’assaut. Une bande de poules était accourue, gloussant, s’appelant, piquant les brins verts qui pendaient. La chèvre passait sournoisement la tête sous son bras, mordait aux larges feuilles. La vache elle-même, attachée au mur, tirait sur sa corde, allongeait son mufle, soufflait son haleine chaude.

— Ah ! les voleuses ! répétait Désirée. C’est pour les lapins !… Voulez-vous bien me laisser tranquille ! Toi tu vas recevoir une calotte. Et toi, si je t’y prends encore, je te retrousse la queue… Les poisons ! elles me mangeraient plutôt les mains !