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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

donner aux lapins les quelques herbes qu’elle avait si vaillamment défendues. Quand elle revint, la paix était faite. Les oies balançaient le cou mollement, stupides, béates ; les canards et les dindes s’en allaient le long des murs, avec des déhanchements prudents d’animaux infirmes ; les poules caquetaient à voix basse, piquant un grain invisible dans le sol dur de l’écurie ; tandis que le cochon, la chèvre, la grande vache, comme peu à peu ensommeillés, clignaient les paupières. Au-dehors, une pluie d’orage commençait à tomber.

— Ah bien ! voilà une averse, dit Désirée, qui se rassit sur la paille avec un frisson. Vous ferez bien de rester là, mes amours, si vous ne voulez pas être trempées.

Elle se tourna vers Albine, en ajoutant :

— Hein ! ont-elles l’air godiche ! Elles ne se réveillent que pour tomber sur la nourriture, ces bêtes-là !

Albine était restée silencieuse. Les rires de cette belle fille se débattant au milieu de ces cous voraces, de ces becs goulus, qui la chatouillaient, qui la baisaient, qui semblaient vouloir lui manger la chair, l’avaient rendue plus blanche. Tant de gaieté, tant de santé, tant de vie, la désespérait. Elle serrait ses bras fiévreux, elle pressait le vide sur sa poitrine, séchée par l’abandon.

— Et Serge ? demanda-t-elle de sa même voix, nette et entêtée.

— Chut ! dit Désirée, je viens de l’entendre, il n’a pas fini… Nous avons fait joliment du bruit tout à l’heure. Il faut que la Teuse soit sourde, ce soir… Tenons-nous tranquilles, maintenant. C’est bon d’entendre tomber la pluie.

L’averse entrait par la porte laissée ouverte, battait le seuil à larges gouttes. Des poules, inquiètes, après s’être hasardées, avaient reculé jusqu’au fond de l’écurie. Toutes les bêtes se réfugiaient là, autour des jupes des deux filles,