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LES ROUGON-MACQUART.

Elle eut un rire superbe. Elle levait les bras, elle défiait le ciel.

— Alors, dit-elle, tu préfères ton Dieu à moi ! Tu le crois plus fort que moi. Tu t’imagines qu’il t’aimera mieux que moi… Tiens ! tu es un enfant. Laisse donc ces bêtises. Nous allons retourner au jardin ensemble, et nous aimer, et être heureux, et être libres. C’est la vie.

Cette fois, elle avait réussi à le prendre à la taille. Elle l’entraînait. Mais il se dégagea, tout frissonnant, de son étreinte ; il revint s’adosser à l’autel, s’oubliant, la tutoyant comme autrefois.

— Va-t’en, balbutia-t-il. Si tu m’aimes encore, va-t’en… Oh ! Seigneur, pardonnez-lui, pardonnez-moi de salir votre maison. Si je passais la porte derrière elle, je la suivrais peut-être. Ici, chez vous, je suis fort. Permettez que je reste là, à vous défendre.

Albine demeura un instant silencieuse. Puis, d’une voix calmée :

— C’est bien, restons ici… Je veux te parler. Tu ne peux être méchant. Tu me comprendras. Tu ne me laisseras pas partir seule… Non, ne te défends pas. Je ne te prendrai plus, puisque cela te fait mal. Tu vois, je suis très-calme. Nous allons causer, doucement, comme lorsque nous nous perdions, et que nous ne cherchions pas notre chemin, pour causer plus longtemps.

Elle souriait, elle continua :

— Moi, je ne sais pas. L’oncle Jeanbernat me défendait de venir à l’église. Il me disait : « Bête, puisque tu as un jardin, qu’est-ce que tu irais faire dans une masure où l’on étouffe ?… » J’ai grandi bien contente. Je regardais dans les nids, sans toucher aux œufs. Je ne cueillais pas même les fleurs, de peur de faire saigner les plantes. Tu sais que jamais je n’ai pris un insecte pour le tourmenter… Alors, pourquoi Dieu serait-il en colère contre moi ?