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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

sait des branches vagues, noyées dans la poussière d’eau. Cinq heures sonnèrent, arrachées coup à coup de la poitrine fêlée de l’horloge ; puis, le silence grandit encore, plus sourd, plus aveugle, plus désespéré. Les peintures, à peine sèches, donnaient au maître-autel et aux boiseries une propreté triste, l’air d’une chapelle de couvent où le soleil n’entre pas. Une agonie lamentable emplissait la nef, éclaboussée du sang qui coulait des membres du grand Christ ; tandis que, le long des murs, les quatorze images de la Passion étalaient leur drame atroce, barbouillé de jaune et de rouge, suant l’horreur. C’était la vie qui agonisait là, dans ce frisson de mort, sur ces autels pareils à des tombeaux, au milieu de cette nudité de caveau funèbre. Tout parlait de massacre, de nuit, de terreur, d’écrasement, de néant. Une dernière haleine d’encens traînait, pareille au dernier souffle attendri de quelque trépassée, étouffée jalousement sous les dalles.

— Ah ! dit enfin Albine, comme il faisait bon au soleil, tu te rappelles !… Un matin, c’était à gauche du parterre, nous marchions le long d’une haie de grands rosiers. Je me souviens de la couleur de l’herbe ; elle était presque bleue, avec des moires vertes. Quand nous arrivâmes au bout de la haie, nous revînmes sur nos pas, tant le soleil avait là une odeur douce. Et ce fut toute notre promenade, cette matinée-là, vingt pas en avant, vingt pas en arrière, un coin de bonheur dont tu ne voulais plus sortir. Les mouches à miel ronflaient ; une mésange ne nous quitta pas, sautant de branche en branche ; des processions de bêtes, autour de nous, s’en allaient à leurs affaires. Tu murmurais : « Que la vie est bonne ! » La vie, c’était les herbes, les arbres, les eaux, le ciel, le soleil, dans lequel nous étions tout blonds, avec des cheveux d’or.

Elle rêva un instant encore, elle reprit :

— La vie, c’était le Paradou. Comme il nous parais-