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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

second assaut fut donné. Le village, les bêtes, toute cette marée de vie qui débordait, engloutit un instant l’église sous une rage de corps faisant ployer les poutres. Les femelles, dans la mêlée, lâchaient de leurs entrailles un enfantement continu de nouveaux combattants. Cette fois, l’église eut un pan de muraille abattu ; le plafond fléchissait, les boiseries des fenêtres étaient emportées, la fumée du crépuscule, de plus en plus noire, entrait par les brèches bâillant affreusement. Sur la croix, le grand Christ ne tenait plus que par le clou de sa main gauche.

L’écroulement du pan de muraille fut salué d’une clameur. Mais l’église restait encore solide, malgré ses blessures. Elle s’entêtait d’une façon farouche, muette, sombre, se cramponnant aux moindres pierres de ses fondations. Il semblait que cette ruine, pour demeurer debout, n’eût besoin que du pilier le plus mince, portant, par un prodige d’équilibre, la toiture crevée. Alors, l’abbé Mouret vit les plantes rudes du plateau se mettre à l’œuvre, ces terribles plantes durcies dans la sécheresse des rocs, noueuses comme des serpents, d’un bois dur, bossué de muscles. Les lichens, couleur de rouille, pareils à une lèpre enflammée, mangèrent d’abord les crépis de plâtre. Ensuite, les thyms enfoncèrent leurs racines entre les briques, ainsi que des coins de fer. Les lavandes glissaient leurs longs doigts crochus sous chaque maçonnerie ébranlée, les tiraient à elles, les arrachaient d’un effort lent et continu. Les genévriers, les romarins, les houx épineux, montaient plus haut, donnaient des poussées invincibles. Et jusqu’aux herbes elles-mêmes, ces herbes dont les brins séchés passaient sous la grand’porte, qui se roidissaient comme des piques d’acier, éventrant la grand’porte, s’avançant dans la nef, où elles soulevaient les dalles de leurs pinces puissantes. C’était l’émeute victorieuse, la nature révolutionnaire dressant des barricades avec des autels ren-