Page:Zola - La Faute de l'abbé Mouret.djvu/417

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
417
LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

Le docteur sentit l’émotion l’étrangler. Il resta un instant au bord de la fosse, sans pouvoir parler. Il regardait Jeanbernat donner ses rudes coups de bêche.

— Où est-elle ? dit-il enfin.

— Là haut, dans sa chambre. Je l’ai laissée sur le lit. Je veux que vous lui écoutiez le cœur, avant de la mettre là-dedans… Moi, j’ai écouté, je n’ai rien entendu.

Le docteur monta. La chambre n’avait pas été touchée. Seule, une fenêtre était ouverte. Les fleurs, fanées, étouffées dans leur propre parfum, ne mettaient plus là que la senteur fade de leur chair morte. Au fond de l’alcôve, pourtant, restait une chaleur d’asphyxie, qui semblait couler dans la chambre et s’échapper encore par minces filets de fumée. Albine, très-blanche, les mains sur son cœur, dormait avec un sourire, au milieu de sa couche de jacinthes et de tubéreuses. Et elle était bien heureuse, elle était bien morte. Debout devant le lit, le docteur la regarda longuement, avec cette fixité des savants qui tentent des résurrections. Puis, il ne voulut pas même déranger ses mains jointes ; il la baisa au front, à cette place que sa maternité avait déjà tachée d’une ombre légère. En bas, dans le jardin, la bêche de Jeanbernat enfonçait toujours ses coups sourds et réguliers.

Cependant, au bout d’un quart d’heure, le vieux monta. Il avait fini sa besogne. Il trouva le docteur assis devant le lit, plongé dans une telle songerie, qu’il paraissait ne pas sentir les grosses larmes coulant une à une sur ses joues. Les deux hommes n’échangèrent qu’un regard. Puis, après un silence :

— Allez, j’avais raison, dit lentement Jeanbernat, répétant son geste large, il n’y a rien, rien, rien… Tout ça, c’est de la farce.

Il restait debout, il ramassait les roses tombées du lit, qu’il jetait une à une sur les jupes d’Albine.