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LES ROUGON-MACQUART.

vertige, comme si la terre lui eût manqué brusquement. Il montrait des peurs, des ignorances, des candeurs de fille cloîtrée. Il disait parfois en souriant qu’il continuait son enfance, s’imaginant être resté tout petit, avec les mêmes sensations, les mêmes idées, les mêmes jugements ; ainsi, à six ans, il connaissait Dieu autant qu’à vingt-cinq ans, il avait pour le prier des inflexions de voix semblables, des joies enfantines à joindre les mains bien exactement. Le monde lui semblait pareil au monde qu’il voyait jadis, lorsque sa mère le promenait par la main. Il était né prêtre, il avait grandi prêtre. Lorsqu’il faisait preuve, devant la Teuse, de quelque grossière ignorance de la vie, elle le regardait stupéfaite, entre les deux yeux, en disant avec un singulier sourire « qu’il était bien le frère de mademoiselle Désirée. » Dans son existence, il ne se rappelait qu’une secousse honteuse. C’était pendant ses derniers six mois de séminaire, entre le diaconat et la prêtrise. On lui avait fait lire l’ouvrage de l’abbé Craisson, supérieur du grand séminaire de Valence : De rebus venereis ad usum confessariorum. Il était sorti épouvanté, sanglotant, de cette lecture. Cette casuistique savante du vice, étalant l’abomination de l’homme, descendant jusqu’aux cas les plus monstrueux des passions hors nature, violait brutalement sa virginité de corps et d’esprit. Il restait à jamais sali, comme une épousée, initiée d’une heure à l’autre aux violences de l’amour. Et il revenait fatalement à ce questionnaire de honte, chaque fois qu’il confessait. Si les obscurités du dogme, les devoirs du sacerdoce, la mort de tout libre arbitre, le laissaient serein, heureux de n’être que l’enfant de Dieu, il gardait malgré lui l’ébranlement charnel de ces saletés qu’il devait remuer, il avait conscience d’une tache ineffaçable, quelque part, au fond de son être, qui pouvait grandir un jour et le couvrir de boue.

La lune se levait, derrière les Garrigues. L’abbé Mouret,