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Page:Zola - Le Capitaine Burle et 5 autres nouvelles.djvu/308

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Un craquement terrible leur coupa la parole. Les bêtes furieuses venaient d’enfoncer les portes des étables. Elles passèrent dans les flots jaunes, roulées, emportées par le courant. Les moutons étaient charriés comme des feuilles mortes, en bandes, tournoyant au milieu des remous. Les vaches et les chevaux luttaient, marchaient, puis perdaient pied. Notre grand cheval gris surtout ne voulait pas mourir ; il se cabrait, tendait le cou, soufflait avec un bruit de forge ; mais les eaux acharnées le prirent à la croupe, et nous le vîmes, abattu, s’abandonner.

Alors, nous poussâmes nos premiers cris. Cela nous vint à la gorge, malgré nous. Nous avions besoin de crier. Les mains tendues vers toutes ces chères bêtes qui s’en allaient, nous nous lamentions, sans nous entendre les uns les autres, jetant au dehors les pleurs et les sanglots que nous avions contenus jusque-là. Ah ! c’était bien la ruine ! les récoltes perdues, le bétail noyé, la fortune changée en quelques heures ! Dieu n’était pas juste ; nous ne lui avions rien fait, et il nous reprenait tout. Je montrai le poing à l’horizon. Je parlai de notre promenade de l’après-midi, de ces prairies, de ces blés, de ces vignes, que nous avions trouvés si pleins de promesses. Tout cela mentait donc ? Le