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Page:Zola - Le Naturalisme au théâtre, Charpentier, 1881.djvu/246

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produit. Mais, pour l’amour de Dieu ! que le talent, la personnalité et l’audace de l’auteur comptent aussi un peu dans l’affaire. Nous ne sommes pas dans la mécanique pure. Il s’agit de peindre des hommes et non de faire mouvoir des pantins. La nécessité de la situation s’impose, soit ; mais encore faut-il, pour que l’œuvre ait une réelle valeur humaine, que la situation se présente comme une résultante des caractères ; si elle est simplement une aventure, nous tombons au roman-feuilleton, à la plus basse production littéraire.

Voici, par exemple, le Chien de l’Aveugle. Ce drame est la mise en œuvre d’une cause célèbre, l’affaire Gras, qui est encore présente à toutes les mémoires. Je constate d’abord un changement qui me gâte la réalité, la femme Gras avait pour complice un ouvrier sans éducation, qu’elle avait affolé d’amour au point de le pousser au crime. Les auteurs, qui sont des gens de théâtre, ont eu peur de cet ouvrier, de cette brute docile ; comment écrire des scènes avec un pareil complice, comment intéresser et attendrir ? Et ils ont eu la belle imagination de changer l’ouvrier en un chirurgien du plus rare mérite, Octave Froment, un amoureux décent, facile à manier, et qui ne peut blesser personne. Eh bien, cette transformation tue le sujet. L’héroïne est diminuée, car elle n’est plus la seule volonté ; tout se trouve déplacé, c’est Octave Froment qui commet le crime, nous n’avons plus le beau cas de cette femme usant de la toute-puissance de son sexe. La madame de La Barre des auteurs devient sympathique. C’est là le triomphe du théâtre.

Mais où l’admiration des critiques a éclaté, c’est dans ce qu’ils ont nommé la trouvaille de MM. Malard