Page:Zola - Le Naturalisme au théâtre, Charpentier, 1881.djvu/45

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Il n’y a pas de verdict passionné où la justice soit plus rare.

C’est le théâtre. Et il paraît que, si défectueuse et si dangereuse que soit cette forme de l’art, elle a une puissance bien grande, puisqu’elle enrage tant d’écrivains. Ils y sont attirés par l’odeur de bataille, par le besoin de conquérir violemment le public. Le pis est que la critique se fâche. Vous n’avez pas le don, allez-vous-en. Et elle a dit certainement cela à Scribe, quand il a été sifflé, à ses débuts ; elle l’a répété à M. Sardou, à l’époque de la Taverne des étudiants ; elle jette ce cri dans les jambes de tout nouveau venu, qui arrive avec une personnalité. Ce fameux don est le passe-port des auteurs dramatiques. Avez-vous le don ? Non. Alors, passez au large, ou nous vous mettons une balle dans la tête.

J’avoue que je remplis d’une tout autre manière mon rôle de critique. Le don me laisse assez froid. Il faut qu’une figure ait un nez pour être une figure ; il faut qu’un auteur dramatique sache faire une pièce pour être un auteur dramatique, cela va de soi. Mais que de marge ensuite ! Puis, le succès ne signifie rien. Phèdre est tombée à la première représentation. Dès qu’un auteur apporte une nouvelle formule, il blesse le public, il y a bataille sur son œuvre. Dans dix ans, on l’applaudira.

Ah ! si je pouvais ouvrir toutes grandes les portes des théâtres à la jeunesse, à l’audace, à ceux qui ne paraissent pas avoir le don aujourd’hui et qui l’auront peut-être demain, je leur dirais d’oser tout, de nous donner de la vérité et de la vie, de ce sang nouveau dont notre littérature dramatique a tant besoin !