Page:Zola - Le Naturalisme au théâtre, Charpentier, 1881.djvu/69

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if, si l’on dressait la liste des erreurs de la foule. On montrerait, d’une part, tous les chefs-d’œuvre qu’elle a sifflés odieusement, de l’autre, toutes les inepties auxquelles elle a fait d’immenses succès. Et la liste serait caractéristique, car il en résulterait à coup sûr que le public est resté froid ou s’est fâché toutes les fois qu’un écrivain original s’est produit. Il y a très peu d’exceptions à cette règle.

Il est donc hors de doute que chaque personnalité de quelque puissance est obligée de s’imposer. Si la grande loi du théâtre était de satisfaire avant tout le public, il faudrait aller droit aux niaiseries sentimentales, aux sentiments faux, à toutes les conventions de la routine. Et je défie qu’on puisse alors marquer la ligne du médiocre où l’on s’arrêterait ; il y aurait toujours un pire auquel on serait bientôt forcé de descendre. Qu’un écrivain écoute la foule, elle lui criera sans cesse : « Plus bas ! plus bas ! » Lors même qu’il sera dans la boue des tréteaux, elle voudra qu’il s’enfonce davantage, qu’il y disparaisse, qu’il s’y noie.

Pour moi, les écrivains révoltés, les novateurs, sont nécessaires, précisément parce qu’ils refusent de descendre et qu’ils relèvent le niveau de l’art, que le goût perverti des spectateurs tend toujours à abaisser. Les exemples abondent. Après la venue de chaque maître, de chaque conquérant de l’art qui achète chèrement ses victoires, il y a un moment d’éclat. Le public est dompté et applaudit. Puis, lentement, quand les imitateurs du maître arrivent, les œuvres s’amollissent, l’intelligence de la foule décroît, une période de transition et de médiocrité s’établit. Si bien que, lorsque le besoin d’une révolution littéraire