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Page:Zola - Le Naturalisme au théâtre, Charpentier, 1881.djvu/76

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sentir pour s’y récréer ; au lieu que, si l’on ne comprend pas une comédie ou un drame, on s’ennuie à mourir.

Eh bien, voilà pourquoi, selon moi, la province préfère un opéra à une comédie. Prenons un jeune homme sorti d’un collège, ayant fait son droit dans une Faculté voisine, devenu chez lui avocat, avoué ou notaire. Certes, ce n’est point un sot. Il a la teinture classique, il sait par cœur des fragments de Boileau et de Racine. Seulement, les années coulent, il ne suit pas le mouvement littéraire, il reste fermé aux nouvelles tentatives dramatiques. Cela se passe pour lui dans un monde inconnu et ne l’intéresse pas. Il lui faudrait faire un effort d’intelligence, qui le dérangerait dans ses habitudes de paresse d’esprit. En un mot, comme il le dit lui-même en riant, il est rouillé ; à quoi bon se dérouiller, quand l’occasion de le faire se présente au plus une fois par an ? Le plus simple est de lâcher la littérature et de se contenter de la musique.

Avec la musique, c’est une douce somnolence. Aucun besoin de penser. Cela est exquis. On ne sait pas jusqu’où peut aller la peur de la pensée. Avoir des idées, les comparer, en tirer un jugement, quel labeur écrasant, quelle complication de rouages, comme cela fatigue ! Tandis qu’il est si commode d’avoir la tête vide, de se laisser aller à une digestion aimable, dans un bain de mélodie ! Voilà le bonheur parfait. On est léger de cervelle, on jouit dans sa chair, toute la sensualité est éveillée. Je ne parle pas des décors, de la mise en scène, des danses, qui font de nos grands opéras des féeries, des spectacles flattant la vue autant que l’oreille.