Page:Zola - Le Roman expérimental, 1902.djvu/274

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

cifier ce qui est banal. On répondra que ce qu’on voit tous les jours est banal ; et si, en le voyant tous les jours, on ne l’a jamais regardé, et si on en tire des vérités superbes et inconnues ! C’est l’histoire même du grand mouvement scientifique au dix-huitième siècle. Personne ne s’était avisé d’analyser l’air, parce que l’air était banal ; Gay-Lussac l’analysa et fonda la chimie moderne. Nous sommes donc accusés de banalité, parce que nous reprenons l’étude de la vérité au commencement, à la nature et à l’homme. Mais il y a ensuite la question de la forme. Dire, bon Dieu ! que des gens ont accusé M. Huysmans d’être banal ! Eh ! il y a en lui un poète outré, un coloriste de l’école hollandaise lâché en pleine débauche de tons violents. C’est même là ce que je lui reproche. Si celui-là est banal comme écrivain, ce seront donc les romanciers de la Revue des Deux Mondes qu’on accusera de faire des orgies de style. Hélas ! non, le roman naturaliste contemporain n’est pas banal ; il ne l’est pas assez, et je m’en suis même plaint ; mais on ne m’a pas compris, comme d’habitude. L’idée que je pouvais être un classique a fait beaucoup rire.

Je voudrais pourtant qu’on cessât de me prêter des opinions qui ne sont pas les miennes. Je n’érige pas la banalité en règle, je ne refuse pas l’imagination, surtout la déduction, qui en est la forme, la plus élevée et la plus forte. C’est comme l’horreur de la poésie qu’on me prête ; ai-je jamais écrit deux lignes qui aient la bêtise de réclamer la suppression des poètes ? Où et quand m’a t-on surpris en train de boucher le ciel de la fantaisie, de nier chez l’homme le besoin de mentir, d’idéaliser, d’échapper au réel.