Page:Zola - Le Roman expérimental, 1902.djvu/35

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Il me faut dire encore un mot des limites que Claude Bernard trace à la science. Pour lui, nous ignorerons toujours le pourquoi des choses; nous ne pouvons savoir que le comment. C'est ce qu'il exprime en ces termes: «La nature de notre esprit nous porte à chercher l'essence ou le pourquoi des choses. En cela, nous visons plus loin que le but qu'il nous est donné d'atteindre; car l'expérience nous apprend bientôt que nous ne devons pas aller au delà du comment, c'est-à-dire au delà de la cause prochaine ou des conditions d'existence des phénomènes.» Plus loin il donne cet exemple: «Si nous ne pouvons savoir pourquoi l'opium et ses alcaloïdes font dormir, nous pourrons connaître le mécanisme de ce sommeil et savoir comment l'opium ou ses principes font dormir; car le sommeil n'a lieu que parce que la substance active va se mettre en contact avec certains éléments organiques qu'elle modifie.» Et la conclusion pratique est celle-ci: «La science a précisément le privilège de nous apprendre ce que nous ignorons, en substituant la raison et l'expérience au sentiment, et en nous montrant clairement la limite de notre connaissance actuelle. Mais, par une merveilleuse compensation, à mesure que la science rabaisse ainsi notre orgueil, elle augmente notre puissance.» Toutes ces considérations sont strictement applicables au roman expérimental. Pour ne point s'égarer dans les spéculations philosophiques, pour remplacer les hypothèses idéalistes par la lente conquête de l'inconnu, il doit s'en tenir à la recherche du pourquoi [sic, probablement erreur typographique pour «comment»] des choses. C'est là son rôle exact, et c'est de là qu'il tire, comme nous allons le voir, sa raison d'être et sa morale.