Page:Zola - Le Roman expérimental, 1902.djvu/66

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Je voulais en venir à cette conclusion: si je définissais le roman expérimental, je ne dirais pas comme Claude Bernard qu'une œuvre littéraire est tout entière dans le sentiment personnel, car pour moi le sentiment personnel n'est que l'impulsion première. Ensuite la nature est là qui s'impose, tout au moins la partie de la nature dont la science nous a livré le secret, et sur laquelle nous n'avons plus le droit de mentir. Le romancier expérimentateur est donc celui qui accepte les faits prouvés, qui montre dans l'homme et dans la société le mécanisme des phénomènes dont la science est maîtresse, et qui ne fait intervenir son sentiment personnel que dans les phénomènes dont le déterminisme n'est point encore fixé, en tâchant de contrôler le plus qu'il le pourra ce sentiment personnel, cette idée à priori, par l'observation et par l'expérience.

Je ne saurais entendre notre littérature naturaliste d'une autre façon. Je n'ai parlé que du roman expérimental, mais je suis fermement convaincu que la méthode, après avoir triomphé dans l'histoire et dans la critique, triomphera partout, au théâtre et même en poésie. C'est une évolution fatale. La littérature, quoi qu'on puisse dire, n'est pas toute aussi dans l'ouvrier, elle est aussi dans la nature qu'elle peint et dans l'homme qu'elle étudie. Or, si les savants changent les notions de la nature, s'ils trouvent le véritable mécanisme de la vie, ils nous forcent à les suivre, les devancer même, pour jouer notre rôle dans les nouvelles hypothèses. L'homme métaphysique est mort, tout notre terrain se transforme avec l'homme physiologique. Sans doute la colère d'Achille, l'amour de Didon, resteront des peintures