Page:Zola - Le Vœu d’une morte, 1890.djvu/34

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— Vous avez vu ma petite fille, ma pauvre Jeanne, qui jouait là tout à l’heure. Elle vient d’avoir six ans, je m’en vais sans la connaître sans savoir si elle porte en elle le bonheur ou le malheur. Cette incertitude double mes souffrances et me rend la mort affreuse. Et je me dis que je laisse cette enfant seule. Je songe qu’elle sera peut-être comme moi, blessée par la vie, et qu’elle pourra ne pas avoir le courage que j’ai eu.

D’un geste, la mourante semblait écarter une vision importune.

— Je me disais, continua-t-elle, que je serais là, toujours près d’elle, lui préparant une existence heureuse, instruisant son cœur. Lorsque j’ai senti la mort venir, j’ai cherché quelqu’un pour remplir à ma place ce rôle de mère dévouée, et je n’ai trouvé personne. Mes parents sont morts, j’ai vécu cloîtrée, je ne me suis fait aucune amie. M. de Rionne n’a plus qu’une sœur, lancée dans le luxe, et chez qui Jeanne ne trouvera que des leçons mauvaises. Quant à