Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/15

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– Fuir, fuir… répétait l’enfant. Ah ! je ne m’en sens pas le courage. Je suis trop faible, trop craintive…

– Je te soutiendrai, Blanche… Nous vivrons une vie d’amour. »

Blanche, sans entendre, sans répondre, laissa tomber sa tête sur l’épaule de Philippe.

« Oh ! j’ai peur, j’ai peur du couvent, reprit-elle à voix basse. Tu m’épouseras, tu m’aimeras toujours ?

– Je t’aime… Vois, je suis à genoux. »

Alors, fermant les yeux, s’abandonnant, Blanche descendit le coteau à grands pas, au bras de Philippe. Comme elle s’éloignait, elle regarda une dernière fois la maison qu’elle quittait, et une émotion poignante lui mit de grosses larmes dans les yeux.

Une minute d’égarement avait suffi pour la jeter dans les bras du jeune homme, brisée et confiante. Elle aimait Philippe de toutes les premières ardeurs de son jeune sang, de toutes les folies de son inexpérience. Elle s’échappait comme une pensionnaire, volontairement, sans réfléchir aux terribles conséquences de sa fuite. Et Philippe l’emmenait, ivre de sa victoire, frémissant de la sentir marcher et haleter à son côté.

D’abord, il voulut courir à Marseille, pour se procurer un fiacre. Mais il craignit de la laisser seule sur la grande route, et il préféra aller à pied avec elle jusqu’à la campagne de sa mère. Ils se trouvaient à une grande lieue de cette campagne, située au quartier de Saint-Just.

Philippe dut abandonner son cheval, et les deux amants se mirent bravement en marche. Ils traversèrent des prairies, des terres labourées, des bois de pins, coupant à travers champs, marchant vite. Il était environ quatre heures. Le soleil, d’un blond ardent, jetait devant eux de larges nappes de lumière. Et ils couraient dans l’air tiède poussés en avant par la folie qui les mordait au cœur. Lorsqu’ils passaient, les paysans levaient la tête et les regardaient fuir avec étonnement.