Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/217

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« Il est arrivé d’Aix dans la nuit.

– Oui, et il repartira demain pour Toulon.

– Je voudrais bien voir la mine qu’il fait.

– On dit qu’il s’est mis à sangloter, lorsqu’il a vu le bourreau apporter les cordes.

– Non ! non ! il a fait bonne contenance... Allez, c’est un gaillard robuste qui ne pleure pas comme une femme.

– Ah ! le scélérat ! le peuple devrait ramasser des pierres et le lapider.

– Je vais tâcher de m’approcher.

– Attendez-moi. On doit le tuer là-bas... Je veux en être. »

Ces paroles coupées de ricanements, criées avec des gestes emportés, retentissaient cruellement aux oreilles de Marius. Une véritable épouvante s’emparait de lui, une sueur froide lui montait au front. Il avait peur, il ne raisonnait plus. Il se demandait avec angoisse quel pouvait être cet homme que la foule courait insulter.

La foule se tassait, se pressait de plus en plus ; et il comprit que jamais il ne pourrait trouer ce mur formidable. Alors, il se décida à tourner la place Royale. Il descendit lentement la rue Vacon, prit la rue Beauveau, déboucha sur la Cannebière. Là, un spectacle étrange l’attendait.

La Cannebière, dans toute sa longueur, du port au cours Belzunce, était emplie d’une cohue immense qui augmentait à chaque minute. De chaque rue, descendaient des flots de peuple. Par instants, des souffles de colère couraient dans la foule, et alors des cris s’élevaient, s’étendaient par larges ondes, pareils aux grondements profonds de la mer. Toutes les fenêtres se garnissaient de spectateurs ; des gamins étaient montés le long des maisons s’accrochant aux devantures des boutiques. Marseille entier se trouvait là, et chaque curieux tournait avidement les yeux vers le même point. Il y avait sur la Cannebière plus de soixante mille personnes qui regardaient et huaient.