Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/385

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de pauvres diables. Elle sentait le ridicule horrible et sanglant de sa méprise.

Le capitaine Sauvaire était exaspéré. Au fond, ce qui l’irritait surtout, c’était la terrible blessure qu’avait reçue son shako, dès le commencement de l’action. Il se croyait atteint dans la dignité de son uniforme, il craignait que tout le prestige de son beau costume s’en allât par le trou qu’avait fait la pierre révolutionnaire d’un insurgé.

Marius, en le reconnaissant, s’approcha vivement de lui pour avoir quelques détails sur l’affaire. Mais l’ancien maître portefaix ne lui laissa pas le temps de le questionner.

« Comprenez-vous, lui cria-t-il, des goujats qui nous attaquent à coups de pierres !... Ces imbéciles n’ont pas même de fusils... Tenez, voyez ! »

Et il lui présentait son shako, dont la plaque dorée était brisée.

« Une balle n’aurait fait qu’un petit trou, reprit-il. Maintenant, me voilà forcé d’acheter un shako neuf. C’est très cher, ces machins-là.

– Pourriez-vous me dire... ? » demanda Marius.

Mais Sauvaire ne lui permit pas d’achever sa phrase. Il le prit à part, remit son shako défoncé sur sa tête, et lui demanda :

« Parlez franchement... N’est-ce pas que cette coiffure trouée me dépare ?... Ah ! gredins de républicains ! Je leur ferai payer leur coup de pierre ! »

Marius profita de sa colère pour poser enfin une question.

« Mais que s’est-il passé ?

– Eh ! nous en avons tué un... C’est bien fait !... Ils étaient là derrière ces charrettes, deux ou trois cents, mille peut-être. Nous en sommes venus à bout, après une heure de lutte acharnée. Vous voyez cette mare de sang dans la rue. Pour sûr, il doit y en avoir un de mort... Ca leur apprendra à lapider la garde nationale... L’ordre, voyez-vous, l’ordre, moi je ne connais que ça ! »