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Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/407

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Marius avait d’autres craintes qu’il n’osait formuler.

« Viens, dit-il à Philippe, il faut savoir pourquoi cet homme regarde ainsi cette maison. »

Ils descendirent et se mêlèrent à la foule. Ils ne perdirent pas Mathéus des yeux, tout en feignant de ne point s’occuper de lui. Pendant près de dix minutes, ils se promenèrent sur la place, sans se relâcher de leur surveillance.

Mathéus gâtait ses meilleurs calculs par une confiance superbe. Il avait si bien prévu chaque fait, tout lui avait si bien réussi jusque-là, qu’il croyait la victoire assurée. Déjà il triomphait, il oubliait sa prudence habituelle, en se disant que, dans la bagarre, tout le monde avait perdu la tête, et que personne ne faisait attention à lui.

Quand il aperçut les deux frères, il cessa d’examiner la maison et prit un air bonhomme. La tête basse, il sembla réfléchir profondément. Marius et Philippe le virent descendre du perron et errer dans la foule, en proie à une perplexité visible. À la vérité, il discutait avec lui-même s’il ne devait pas aller voler l’enfant tout de suite, avant la lutte, pour éviter de se compromettre en restant davantage au milieu des barricades. Il s’agissait seulement de se débarrasser de Fine, cela ne l’inquiétait guère, il userait d’un bâillon, au pis aller d’un coup de couteau. Ce qui l’inquiétait davantage, ce qui lui donnait cet air de profonde réflexion, c’était cette maudite perruque rouge qui lui avait servi jusque-là de drapeau, et dont il aurait voulu se débarrasser pour tout au monde. Il se disait, avec raison, qu’elle le clouait à son poste, qu’elle lui enlevait sa liberté d’action : jamais il ne pourrait emporter un enfant dans ses bras tant qu’il resterait « l’homme aux cheveux rouges », comme on le nommait, le fougueux tribun qui avait parlé un jour de brûler Marseille.

Mathéus se promena longtemps, ne pouvant se décider. Il comprenait toute la gravité d’un changement de physionomie. Philippe et Marius, à le voir jeter des regards