Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/76

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans tache ? Ces hommes étalent, à Marseille surtout, leur vanité et leur insolence ; ils sont devenus dévots et cafards, ils ont trompé jusqu’aux honnêtes gens qui les saluent et les estiment. En un mot, ils forment à eux tous une aristocratie ; leur passé est oublié, on ne voit que leur richesse et leur probité de fraîche date. Eh bien ! j’arrache les masques. Écoutez… Celui-ci a fait fortune en trahissant un ami ; cet autre, en vendant de la chair humaine, cet autre, en vendant sa femme et sa fille ; cet autre, en spéculant sur la misère de ses créanciers ; cet autre, en rachetant à vil prix, après les avoir lui-même adroitement discréditées, toutes les actions d’une compagnie dont il était le gérant ; cet autre, en coulant un navire chargé de pierres en guise de marchandises, et en se faisant payer par la compagnie d’assurance le prix de cet étrange chargement ; cet autre, associé sur parole, en refusant de partager les chances d’une opération, dès que cette opération est devenue mauvaise, cet autre, en dissimulant son actif, en faisant deux ou trois faillites et en vivant ensuite comme un homme de bien ; cet autre, en vendant pour du vin de l’eau de Campêche ou du sang de bœuf ; cet autre, en accaparant les blés en mer pendant les années de disette ; cet autre, en fraudant le fisc sur une grande échelle, en essayant de corrompre les employés et en volant tout son saoul l’administration ; cet autre, en mettant au bas de ses billets des signatures fausses de parents ou d’amis qui n’osent nier, le jour de l’échéance, et qui paient au besoin, plutôt que de compromettre le faussaire ; cet autre, en incendiant lui-même son usine ou ses vaisseaux, assurés au-delà de leur valeur ; cet autre, en déchirant et en jetant au feu les billets qu’il a arrachés des mains de son créancier, le jour du paiement ; cet autre, en jouant à la Bourse avec l’intention de ne pas payer, ce qui ne l’empêche pas de s’enrichir huit jours après, aux dépens de quelque dupe…  »

La respiration manqua à M. de Girousse. Il garda un long silence, laissant sa colère se calmer. Ses lèvres