Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/112

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éclat s’incarna au point de lui adresser enfin la parole : « Faites-moi la grâce de venir ici pendant quinze jours. » Peu à peu, la Dame s’était ainsi précisée, le quelque chose habillé de blanc devenait une Dame plus belle qu’une reine, comme on n’en voit que sur les images. D’abord, devant les questions dont le voisinage l’accablait du matin au soir, Bernadette s’était montrée hésitante, agitée de scrupules. Puis, il avait semblé que, sous la suggestion même de ces interrogatoires, la figure se faisait plus nette, prenait une vie définitive, des lignes et des couleurs dont l’enfant, dans ses descriptions, ne devait jamais plus s’écarter. Les yeux étaient bleus et très doux, la bouche rose et souriante, l’ovale du visage avait à la fois une grâce de jeunesse et de maternité. On voyait à peine, sous le bord du voile qui couvrait la tête et descendait jusqu’aux talons, la frisure discrète d’une admirable chevelure blonde. La robe, toute blanche, éclatante, devait être d’une étoffe inconnue à la terre, tissée de soleil. L’écharpe, couleur du ciel, mollement nouée, laissait pendre deux longs bouts flottants, d’une légèreté d’air matinal. Le chapelet, passé au bras droit, avait des grains d’une blancheur de lait, tandis que les chaînons et la croix étaient d’or. Et, sur les pieds nus, sur les adorables pieds de neige virginale, fleurissaient deux roses d’or, les roses mystiques de cette chair immaculée de mère divine. Où donc Bernadette l’avait-elle vue, cette sainte Vierge, si traditionnelle dans sa composition simpliste, sans un bijou, d’une grâce primitive de peuple enfant ? dans quel livre à images du frère de sa mère nourrice, le bon prêtre qui faisait de si belles lectures ? dans quelle statuette, dans quel tableau, dans quel vitrail de l’église peinte et dorée où elle avait grandi ? Surtout, ces roses d’or sur les pieds nus, cette délicieuse imagination d’amour, cette floraison dévote de la chair de la femme, de quel roman de chevalerie venait-elle, de