Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/116

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d’esprit droit et vigoureux, pouvait dire avec raison qu’il ne connaissait pas cette enfant, qu’on ne l’avait pas encore vue au catéchisme. Où était donc la pression, la leçon apprise ? Il n’y avait toujours que l’enfance à Bartrès, les premiers enseignements de l’abbé Ader, des conversations peut-être, des cérémonies religieuses en l’honneur du dogme récent, ou simplement le cadeau d’une de ces médailles qu’on avait répandues à profusion. Jamais l’abbé Ader ne devait reparaître, lui qui avait prophétisé la mission de Bernadette. Il allait rester absent de cette histoire, après avoir été le premier à sentir éclore la petite âme entre ses mains pieuses. Et toutes les forces ignorées du village perdu, de ce coin de verdure borné et superstitieux, continuaient pourtant à souffler, troublant les cervelles, élargissant la contagion du mystère. On se souvenait qu’un berger d’Argelès, en parlant, du rocher de Massabielle, avait prédit que de grandes choses se passeraient là. D’autres enfants tombaient en extase, les yeux grands ouverts, les membres secoués de convulsions ; mais eux voyaient le diable. Un vent de folie semblait passer sur la contrée. Place du Porche, à Lourdes, une vieille dame déclarait que Bernadette n’était qu’une sorcière et qu’elle avait vu dans son œil la patte de crapaud. Pour les autres, pour les milliers de pèlerins accourus, elle était une sainte, dont ils baisaient les vêtements. Des sanglots éclataient, une frénésie soulevait les âmes, lorsqu’elle tombait à genoux devant la grotte, un cierge allumé dans sa main droite, égrenant de la gauche son chapelet. Elle devenait très pâle, très belle, transfigurée. Les traits remontaient doucement, s’allongeaient en une expression de béatitude extraordinaire, pendant que les yeux s’emplissaient de clarté et que la bouche entr’ouverte remuait, comme si elle eût prononcé des paroles qu’on n’entendait pas. Et il était bien certain qu’elle n’avait plus de volonté