Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/122

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— Je vous en prie, faites-moi vite passer la bouteille de vinaigre… Je ne l’entends plus souffler.

En effet, depuis un instant, l’homme n’avait plus son petit souffle. Ses yeux étaient toujours fermés, sa bouche, entr’ouverte ; mais sa pâleur n’avait pu croître, il était froid, couleur de cendre. Et le wagon roulait avec son bruit de ferrailles secouées, la vitesse du train semblait grandir.

— Je vais lui frotter les tempes, reprit sœur Hyacinthe. Aidez-moi.

L’homme, tout d’un coup, à un cahot plus rude, tomba la face en avant.

— Ah ! mon Dieu ! aidez-moi, ramassez-le donc !

On le ramassa, il était mort. Et il fallut le rasseoir dans son coin, le dos contre la cloison. Il restait droit, le torse raidi, il n’avait qu’un petit balancement de la tête, à chaque secousse. Le train continuait à l’emporter, dans le même grondement de tonnerre, tandis que la locomotive, heureuse d’arriver sans doute, poussait des sifflements aigus, toute une fanfare de joie déchirante, à travers la nuit calme.

Alors, pendant une interminable demi-heure, le voyage s’acheva, avec ce mort. Deux grosses larmes avaient roulé sur le joues de sœur Hyacinthe ; puis, les mains jointes, elle s’était mise en prière. Tout le wagon frémissait, dans la terreur de ce terrible compagnon, qu’on amenait trop tard à la sainte Vierge. Mais l’espérance était plus forte que la douleur, tous les maux entassés là avaient beau se réveiller, s’accroître, s’irriter sous l’écrasante fatigue, un chant d’allégresse n’en sonnait pas moins l’entrée triomphale sur la terre du miracle. Les malades venaient d’entonner l’Ave maris stella, au milieu des pleurs que la souffrance leur arrachait, exaspérés et hurlants, dans une clameur croissante où les plaintes s’achevaient en cris d’espoir.