Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/158

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

la pente de la rue, en un ruisseau grossi et débordant, charriant ses flots à grand bruit. Au coin de la rue Saint-Joseph, près du plateau de la Merlasse, une famille d’excursionnistes, des gens qui arrivaient de Cauterets ou de Bagnères, restaient plantés au bord du trottoir, dans un étonnement profond. Ce devaient être de riches bourgeois, le père et la mère très corrects, les deux grandes filles vêtues de robes claires, avec des visages riants d’heureuses personnes qui s’amusent. Mais, à la surprise première du groupe, succédait une terreur croissante, comme s’ils avaient vu s’ouvrir une maladrerie des temps anciens, un de ces hôpitaux de la légende qu’on aurait vidé, après quelque grande épidémie. Et les deux filles pâlissaient, le père et la mère demeuraient glacés, devant le défilé ininterrompu de tant d’horreurs, dont ils recevaient le vent empesté à la face. Mon Dieu ! tant de laideur, tant de saleté, tant de souffrance ! Était-ce possible, sous ce beau soleil si radieux, sous ce grand ciel de lumière et de joie, où montait la fraîcheur du Gave, où le vent du matin apportait l’odeur pure des montagnes !

Lorsque Pierre, en tête du cortège, déboucha sur le plateau de la Merlasse, il se sentit baigné par ce soleil si clair, par cet air si vif et si embaumé. Il se retourna, sourit doucement à Marie ; et tous deux, dans la splendeur du matin, comme ils arrivaient au centre de la place du Rosaire, furent enchantés par l’admirable horizon qui se déroulait autour d’eux.

En face, à l’est, c’était le vieux Lourdes, couché dans un large pli de terrain, de l’autre côté de son rocher. Le soleil se levait, derrière les monts lointains, et ses rayons obliques découpaient en lilas sombre ce roc solitaire, que couronnaient la tour et les murs croulants de l’antique Château, jadis la clef redoutable des sept vallées. Dans la poussière d’or volante, on ne voyait guère que des arêtes fières,