Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/209

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lente de la raison, au travers des misères de notre corps et de notre intelligence… Ah ! la raison, c’est par elle que je souffre, c’est d’elle aussi que j’attends toute ma force ! Quand elle périt, l’être périt tout entier. Quitte à y laisser le bonheur, je n’ai que l’ardente soif de la contenter toujours davantage.

Des larmes parurent dans les yeux du docteur Chassaigne. Le souvenir de ses chères mortes venait de passer sans doute. Et, à son tour, il murmura :

— La raison, la raison, oui, certainement, c’est une grande fierté, la dignité même de vivre… Mais il y a l’amour, qui est la toute-puissance de la vie, l’unique bien à reconquérir, quand on l’a perdu…

Sa voix se brisait dans un sanglot étouffé. Et, comme, machinalement, il feuilletait les dossiers sur la table, il trouva celui qui portait, en grosses lettres, le nom de Marie de Guersaint. Il l’ouvrit, lut les certificats des deux médecins concluant à une paralysie de la moelle. Et il reprit :

— Voyons, mon enfant, vous avez, je le sais, une vive affection pour mademoiselle de Guersaint… Que diriez-vous, si elle était guérie ici ? Je découvre là des certificats, signés de noms honorables, et vous savez que les paralysies de cette nature sont incurables… Eh bien ! si cette jeune personne, brusquement, courait et sautait, comme j’en ai vu tant d’autres, ne seriez-vous pas bien heureux, n’admettriez-vous pas enfin l’intervention d’une puissance surnaturelle ?

Pierre allait répondre, lorsqu’il se rappela la consultation de son cousin Beauclair, le miracle prédit, en coup de foudre, dans un réveil, une exaltation de tout l’être ; et il sentit croître son malaise, il se contenta de dire :

— En effet, je serais bien heureux… Et je pense comme vous, il n’y a sans doute que la volonté du bonheur, dans toute l’agitation de ce monde.