Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/211

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lorsque la Grivotte le bouscula pour passer, en répétant, au milieu de l’enthousiasme déchaîné de la foule :

— Je suis guérie… Je suis guérie…

— Eh bien ! cria-t-il, pris d’une fureur brusque, tant pis pour vous, ma fille !

On s’exclama, on se mit à rire, car on le connaissait, on lui pardonnait sa passion maniaque de la mort. Pourtant, comme il bégayait des paroles confuses, disant que c’était pitié, quand on n’avait ni beauté, ni fortune, de vouloir vivre, et que cette fille aurait dû préférer mourir tout de suite, plutôt que de souffrir encore, on commençait à gronder autour de lui, lorsque l’abbé Judaine, qui passait, vint le tirer d’affaire. Il l’entraîna à l’écart.

— Taisez-vous donc ! C’est scandaleux… Pourquoi vous insurgez-vous contre la bonté de Dieu qui fait grâce parfois à nos misères, en les soulageant ?… Vous devriez tomber à genoux vous-même, je vous le répète, et le supplier de vous rendre votre jambe, de vous laisser vivre dix ans encore.

Alors, il s’étrangla.

— Moi, moi ! demander dix ans de vie, lorsque mon plus beau jour sera le jour où je partirai ! Être aussi plat, aussi lâche, que ces milliers de malades que je vois défiler ici, dans une basse terreur de la mort, hurlant leur faiblesse, la passion inavouable qu’ils ont de vivre ! Ah ! non, je me mépriserais trop !… Que je crève donc ! et tout de suite, ce sera si bon de ne plus être !

Il se retrouvait près du docteur Chassaigne et de Pierre, enfin hors de la bousculade des pèlerins, au bord du Gave. Et il s’adressa au docteur, qu’il rencontrait souvent.

— Est-ce qu’ils n’ont pas, tout à l’heure, essayé de ressusciter un homme ! On m’a conté ça, j’ai failli en étouffer… Hein ? docteur, comprenez-vous ? Un homme