Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/213

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seconde si horrible, qu’elle suffit à empoisonner toute l’existence. J’avais senti la sueur de l’agonie me mouiller, le sang se retirer de mes membres, le souffle m’échapper, s’en aller en un dernier hoquet. Cette détresse, vous voulez donc que je la connaisse deux fois, vous voulez que je meure deux fois, et que ma misère humaine passe celle de tous les hommes !… Ah ! Seigneur, que ce soit tout de suite ! Oui, je vous en conjure, faites cet autre grand miracle, recouchez-moi dans ce tombeau, rendormez-moi sans souffrir de mon éternel sommeil interrompu. Par grâce, ne m’infligez pas le tourment de revivre, ce tourment effroyable auquel vous n’avez encore osé condamner aucun être. Je vous ai toujours aimé et servi, ne faites pas de moi le plus grand exemple de votre colère, qui épouvanterait les générations. Soyez bon et doux, Seigneur, rendez-moi le sommeil que j’ai bien gagné, rendormez-moi dans les délices de votre néant. »

Cependant, l’abbé Judaine avait emmené le Commandeur, qu’il finissait par calmer ; et Pierre serrait la main du docteur Chassaigne, en se souvenant qu’il était plus de cinq heures et que Marie devait l’attendre. Puis, comme il retournait enfin à la Grotte, il fit une nouvelle rencontre, l’abbé Des Hermoises en grande conversation avec M. de Guersaint, qui venait seulement de quitter sa chambre d’hôtel, ragaillardi par un bon somme. Tous deux admiraient la beauté extraordinaire que l’exaltation de la foi donnait à certains visages de femmes. Et ils causaient aussi de leur projet d’excursion au cirque de Gavarnie.

D’ailleurs, M. de Guersaint suivit immédiatement Pierre, dès qu’il sut que Marie avait pris un premier bain sans résultat. Ils trouvèrent la jeune fille dans la même stupeur douloureuse, les yeux fixés toujours sur la sainte Vierge, qui ne l’avait pas écoutée. Elle ne répondit point aux paroles de tendresse que son père lui adressa,