Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/233

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de raison froide qu’on s’imagine, ne peut-on se représenter son angoisse, le matin du jour où il signa cette ordonnance ? Il dut s’agenouiller dans son oratoire, supplier le Dieu souverain du monde de lui dicter sa conduite. Il ne croyait pas aux apparitions, il avait des manifestations de la divinité une idée plus haute, plus intellectuelle. Seulement, n’était-ce pas pitié et miséricorde que de faire taire les scrupules de son intelligence, les noblesses de son culte, devant la nécessité de ce pain du mensonge, dont la pauvre humanité a besoin pour vivre heureuse ? « Ô mon Dieu, pardonnez-moi, si je vous fais descendre de la puissance éternelle où vous êtes, si je vous rabaisse à ce jeu enfantin des miracles inutiles. C’est vous faire injure que de vous risquer dans cette aventure pitoyable, où il n’y a que maladie et déraison. Mais, ô mon Dieu, ils souffrent tant, ils ont une si grande faim de merveilleux, de contes de fée, pour distraire leur douleur de vivre ! Vous-même, s’ils étaient vos ouailles, vous aideriez à les tromper. Que l’idée de votre divinité y perde, et qu’ils soient consolés sur cette terre ! » Et l’évêque en larmes avait ainsi fait le sacrifice de son Dieu à sa charité frémissante de pasteur, pour le lamentable troupeau humain.

Puis, l’empereur, le maître, à son tour, se rendit. Il était alors à Biarritz, on le renseignait journellement sur cette affaire des apparitions, dont tous les journaux de Paris s’occupaient ; car la persécution n’aurait pas été complète, si l’encre des journalistes voltairiens ne s’y était mêlée. Et l’empereur, pendant que son ministre, son préfet, son commissaire de police, se battaient pour le bon sens et pour le bon ordre, gardait ce grand silence de rêveur éveillé, où personne n’était jamais descendu. Des pétitions arrivaient quotidiennement ; et il se taisait. Des évêques venaient l’entretenir, de grands personnages, de grandes dames de son entourage guettaient, l’emmenaient