Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/273

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le reflet roux et morne de la terre. Mgr Laurence, autrefois, avait fait un choix vraiment politique, en confiant l’organisation et l’exploitation de la Grotte à ces missionnaires de Garaison, si tenaces et si âpres, presque tous fils de montagnards, amants passionnés du sol.

Alors, lentement, les cinq redescendirent par le plateau de la Merlasse, le large boulevard qui contourne la rampe de gauche et qui rejoint l’avenue de la Grotte. Il était déjà une heure passée, mais le déjeuner continuait dans toute la ville débordante de foule, les cinquante mille pèlerins et curieux n’avaient pu encore s’asseoir à la file devant les tables. Pierre, qui avait laissé, à l’hôtel, la table d’hôte pleine, qui venait de voir les hospitaliers se serrer de si bon cœur à la table de « la popote », retrouvait des tables nouvelles, toujours des tables. Partout, on mangeait, on mangeait. Mais ici, au grand air, aux deux côtés de la vaste chaussée, c’était le petit peuple qui envahissait les tables dressées sur les trottoirs, de simples planches longues, flanquées de deux bancs, couvertes d’une étroite tente de toile. On y vendait du bouillon, du lait, du café à deux sous la tasse. Les pains, dans de hautes corbeilles, coûtaient également deux sous. Pendus aux bâtons qui soutenaient la tente, se balançaient des liasses de saucissons, des jambons, des andouilles. Quelques-uns de ces restaurateurs en plein vent faisaient frire des pommes de terre, d’autres accommodaient de basses viandes à l’oignon. Une fumée âcre, des odeurs violentes montaient dans le soleil, mêlées à la poussière que soulevait le continuel piétinement des promeneurs. Et des queues patientaient devant chacune des cantines, les convives se succédaient sur les bancs, le long de la planche, garnie de toile cirée, où il y avait à peine, en largeur, la place des deux bols de soupe. Tous se hâtaient, dévoraient, dans la fringale de leur fatigue, cet appétit insatiable que donnent les grandes secousses morales.