Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/319

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qu’il s’était endormi. Les mains jointes sur le ventre, le menton contre la poitrine, il dormait avec un vague sourire, d’un bon sommeil d’enfant. Sans doute, quand il disait qu’il passait la nuit là, il voulait dire qu’il venait y faire un premier somme de vieil homme heureux, visité par les anges.

Et Pierre, alors, goûta la charmante solitude. C’était bien vrai, cette douceur qui pénétrait l’âme, dans ce coin de roche. Elle était faite de l’odeur un peu étouffante de la cire, de l’éblouissement d’extase où l’on tombait, au milieu de la splendeur des cierges. Il ne distinguait plus nettement ni les béquilles de la voûte, ni les ex-voto pendus aux parois, ni l’autel d’argent gravé, ni l’orgue-harmonium dans sa housse. Une ivresse lente le prenait, un anéantissement croissant de tout son être. Et il avait surtout la sensation divine d’être loin du monde vivant, au fond de l’incroyable et du surhumain, comme si la simple grille de fer fût devenue la barrière même de l’infini.

Un petit bruit, à la gauche de Pierre, l’inquiéta. C’était la source qui coulait, coulait toujours, avec son gazouillement d’oiseau. Ah ! qu’il aurait voulu tomber à genoux, et croire au miracle, et avoir la certitude têtue que cette eau divine n’avait jailli de la roche que pour la guérison de l’humanité souffrante ! N’était-il pas venu pour se prosterner, pour implorer la Vierge de lui rendre la foi des petits enfants ? Pourquoi donc ne priait-il pas, ne la suppliait-il pas de lui faire le souverain cadeau de la grâce ? Il étouffait davantage, les cierges l’éblouissaient jusqu’au vertige. Et cette pensée le saisit que, depuis deux jours, dans la grande liberté dont les prêtres jouissaient à Lourdes, il avait négligé de dire sa messe. Il était en état de péché, peut-être était-ce ce poids qui lui écrasait le cœur. Cela devint, en lui, une telle souffrance, qu’il dut se lever et s’en aller. Il se contenta de repousser