Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/321

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de Marie guérie, l’émotionna à un tel point, qu’il s’arrêta, les bras tremblants et levés vers le ciel criblé d’étoiles. Ah ! grand Dieu ! quelle belle nuit profonde et mystérieuse, embaumée et légère, et quelle joie pleuvait, dans cet espoir de l’éternelle santé revenue, de l’éternel amour, renaissant à l’infini, comme le printemps ! Puis, il marcha encore, suivit l’allée jusqu’au bout. Mais ses doutes recommençaient : quand on exige un miracle pour croire, c’est qu’on est incapable de croire. Dieu n’a pas à faire la preuve de son existence. Il était aussi repris de malaise, à la pensée que, tant qu’il n’aurait pas fait son devoir de prêtre, en disant sa messe, Dieu ne l’écouterait point. Pourquoi n’allait-il pas tout de suite à l’église du Rosaire, dont les autels, de minuit à midi, restaient à la disposition des prêtres de passage ? Et il redescendit par une autre allée, se retrouva sous les arbres, dans le coin de feuillages, d’où il avait vu, avec Marie, passer la procession aux flambeaux. Plus une clarté, une mer d’ombre, sans bornes.

Là, Pierre eut une nouvelle défaillance ; et il entra machinalement à l’Abri des pèlerins, comme s’il avait voulu gagner du temps. La porte restait grande ouverte, sans aérer suffisamment la vaste salle, pleine de monde. Dès les premiers pas, il fut frappé au visage par la lourde chaleur des corps entassés, par l’odeur épaisse et gâtée des haleines et des transpirations. Les lanternes fumeuses éclairaient si mal, qu’il dut prendre garde de ne pas marcher sur des membres épars ; car l’encombrement était extraordinaire, beaucoup de gens qui n’avaient pu trouver de place sur les bancs, s’étaient allongés sur les dalles humides, souillées de crachats et de détritus, depuis le matin. Et il y avait là une promiscuité sans nom, des hommes, des femmes, des prêtres, couchés pêle-mêle, roulés au hasard, culbutés dans le coup de fatigue qui les terrassait, la bouche ouverte, anéantis. Un grand nombre ronflaient