Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/426

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place du Rosaire, les avenues, les allées des jardins s’élargissaient en dessous, se développaient aux regards, noires de monde. C’était tout un peuple à vol d’oiseau, une fourmilière de plus en plus étalée et lointaine.

— Regardez donc ! finit-il par dire à Pierre. Est-ce grand ! est-ce beau !… Allons, l’année ne sera pas mauvaise.

Lui, pour qui Lourdes était surtout un foyer de propagande, où il contentait ses rancunes politiques, se réjouissait des pèlerinages nombreux, qu’il croyait être désagréables au gouvernement. Ah ! si l’on avait pu amener les ouvriers des villes, créer une démocratie catholique !

— L’année dernière, continua-t-il, on est à peine arrivé à deux cent mille pèlerins. Cette année, j’espère qu’on dépassera ce chiffre.

Et, de son air gai de bon vivant, malgré sa passion de sectaire :

— Ma foi, tout à l’heure, quand on s’écrasait, j’étais content… Je me disais : Ça marche, ça marche !

Mais Pierre n’écoutait pas, était frappé par la grandeur du spectacle. Cette foule qui s’étendait davantage à mesure qu’il s’élevait au-dessus d’elle, cette vallée magnifique qui se creusait sous lui, qui s’agrandissait sans cesse, déroulant l’horizon fastueux des montagnes, l’emplissaient d’une admiration frémissante. Son trouble en était accru, il chercha le regard de Marie, il lui indiqua le cirque immense d’un geste large. Et ce geste la trompa, elle ne vit pas la matérialité du spectacle, dans l’exaltation toute spirituelle où elle se trouvait ; elle crut qu’il prenait la terre à témoin des faveurs prodigieuses dont la sainte Vierge venait de les combler tous les deux ; car elle s’imaginait qu’il avait eu sa part du miracle, que dans le coup de grâce qui l’avait mise debout, la chair guérie, lui, si voisin d’elle, cœur à cœur, s’était senti enveloppé, soulevé par la même force divine, l’âme sauvée du doute,