Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/428

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savait toujours sienne, puisqu’elle ne pouvait être à personne. Et elle était guérie, et il restait seul, dans son enfer, à se dire qu’elle ne serait jamais plus à lui. Cette pensée soudaine le bouleversa tellement, qu’il détourna les yeux, désespéré de souffrir ainsi du bonheur prodigieux dont elle exultait.

Le chant continuait, le père Massias, sans rien entendre, sans rien voir, tout à la brûlante gratitude envers Dieu, lançait le dernier verset d’une voix tonnante :

Sicut locutus est ad patres nostros, Abraham et semini ejus in sæcula.

Encore cette rampe à gravir, encore un effort à faire sur cette montée rude, aux larges dalles glissantes ! Et la procession s’élevait encore, et l’ascension s’achevait, en pleine lumière vive. Il y avait là un dernier détour, les roues du chariot sonnèrent contre la bordure de granit. Toujours plus haut, toujours plus haut ! Il roulait plus haut, il débouchait au bord du ciel.

Alors, tout d’un coup, le dais apparut au sommet des rampes géantes, devant la porte de la Basilique, sur le balcon de pierre qui dominait l’étendue. L’abbé Judaine s’avança, tenant à deux mains, en l’air, le Saint-Sacrement. Près de lui, Marie avait hissé le chariot, le cœur battant de la course, la face enflammée, dans l’or dénoué de ses cheveux. Puis, derrière, tout le clergé s’était rangé, les surplis neigeux, les chasubles éclatantes ; tandis que les bannières flottaient, ainsi que des drapeaux, pavoisant la blancheur des balustrades. Et il y eut une minute solennelle.

De là-haut, rien n’était plus grand. D’abord, en bas, c’était la foule, la mer humaine au flot sombre, à la houle sans cesse mouvante, immobilisée un instant, où l’on ne distinguait que les petites taches pâles des visages, levés vers la Basilique, dans l’attente de la bénédiction ; et aussi loin que le regard s’étendait, de la place du Rosaire