Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/461

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croire qu’on allait commencer à la couvrir, le lendemain. Mais, quand ils furent revenus sur leurs pas, et qu’ils sortirent, pour voir la façade, la détresse lamentable de cette jeune ruine se montra. De ce côté, on avait beaucoup moins poussé les travaux, le porche à triple travée était seul construit ; et quinze années d’abandon avaient suffi aux hivers pour en ronger les sculptures, les colonnettes, les archivoltes, dans un travail de destruction vraiment singulier, comme si la pierre, entamée profondément, détruite, s’était fondue sous des larmes. Le cœur se serrait, à la vue de cette destruction qui s’attaquait à l’œuvre, avant même qu’elle fût finie. Ne pas être encore, et déjà s’émietter ainsi sous le ciel ! s’immobiliser dans sa croissance de colosse géant, pour semer l’herbe de décombres !

Ils rentrèrent dans la nef, ils y retrouvèrent l’affreuse tristesse de cet assassinat d’un monument. Le vaste terrain vague, à l’intérieur, était obstrué par les débris des échafaudages, qu’il avait fallu abattre, pourris à moitié, dans la crainte que leur chute n’écrasât le monde ; et c’étaient partout, au milieu des herbes hautes, des plats-bords, des boulins, des cintres, mêlés à des paquets de vieilles cordes, que l’humidité achevait de manger. Il y avait aussi la carcasse efflanquée d’un treuil, se dressant comme une potence. Des manches de pelle, des morceaux cassés de brouettes, traînaient encore parmi des matériaux oubliés, des tas de briques verdâtres, tachées de mousse, où fleurissaient des liserons. Sous les nappes d’orties, on revoyait, par places, les rails du petit chemin de fer, installé pour les charrois, et dont un wagonnet renversé gisait dans un coin. Mais la grande mélancolie de cette mort des choses était surtout la locomobile, restée sous le toit du hangar qui l’abritait. Depuis quinze ans, elle était là, refroidie, morte. Le hangar avait fini par s’effondrer sur elle, de larges trous laissaient la pluie